Véronique Bittner-Priez, vice-directrice

La Suisse consomme 100 térawattheures (TWh) par an pour l’approvisionnement en chaleur, ce qui représente environ la moitié de la consommation totale d’énergie du pays. Une grande partie de la chaleur nécessaire – chauffage des locaux, eau chaude et chaleur industrielle – est encore produite par des énergies fossiles et génère plus d’un tiers de toutes les émissions de gaz à effet de serre en Suisse. La décarbonisation du secteur du chauffage constitue donc une condition indispensable pour atteindre les objectifs de la Suisse en matière de politique énergétique et climatique, notamment la réduction des émissions de CO2 à zéro net d’ici 2050. La Confédération a reconnu le besoin de transformation; dans sa «Stratégie Chaleur 2050», elle mise d’une part sur une augmentation de l’efficacité énergétique et, d’autre part, sur un passage aux énergies renouvelables.

Les réseaux thermiques sont essentiels pour un approvisionnement en chaleur sans CO2

La construction et l’extension des réseaux thermiques jouent dans les zones urbaines un rôle décisif pour la décarbonisation du secteur du chauffage. De tels réseaux permettent d’utiliser non seulement les rejets thermiques d’un site, par exemple ceux des usines d’incinération des ordures ménagères, des stations d’épuration des eaux usées ou de l’industrie, mais aussi le potentiel thermique des lacs, des rivières et des sols. La chaleur à distance constitue ainsi un pilier important de l’approvisionnement en chaleur exempte d’émissions de CO2. En outre, pour des raisons d’espace, de bruit et/ou d’esthétique, la construction et l’extension de réseaux thermiques dans les zones urbaines denses constituent souvent l’alternative la plus judicieuse pour remplacer les chauffages fossiles. En règle générale, les villes et les communes urbaines présentent également une demande de chaleur suffisamment élevée pour que la construction et l’exploitation de réseaux de chaleur à distance et de proximité puissent être rentables.

Les villes suisses font activement avancer la construction et l’extension des réseaux thermiques. Non seulement les grands centres urbains, mais aussi de nombreuses villes plus petites et communes d’agglomération, ont déjà des réseaux en service. Aujourd’hui, la Suisse dispose d’environ 1000 réseaux de chaleur à distance et de proximité. Mais le potentiel est encore loin d’être épuisé. Pour des raisons de politique énergétique et climatique, il est important de l’exploiter rapidement. Les perspectives énergétiques 2050+ prévoient que la consommation de chaleur à distance et de proximité va quasiment doubler par rapport à aujourd’hui. La volonté de développer la chaleur à distance est également forte: les villes et leurs services industriels prévoient des investissements estimés à plusieurs milliards de francs au total.

Exploiter le potentiel existant, créer les bons instruments de promotion

Mais la planification et la réalisation de réseaux thermiques sont extrêmement complexes. Ils touchent à une multitude de domaines juridiques différents: le droit de l’aménagement du territoire, de la construction, de l’environnement, des marchés publics, de la concurrence et bien d’autres encore. Les compétences de la Confédération, des cantons et des communes se chevauchent également. Conscients des grands défis liés à la construction et à l’extension des réseaux thermiques, la Confédération, les cantons, les villes et les communes ont signé en août 2022 la Charte pour accélérer le développement des réseaux thermiques. Avec cette charte, les trois niveaux étatiques veulent intensifier leur collaboration et élaborer ensemble des solutions et des outils pour surmonter les obstacles existants.

L’Union des villes demande un fonds de roulement pour le développement des réseaux thermiques

La construction ou l’extension de réseaux thermiques n’est pas seulement complexe, elle est également liée à des risques financiers importants. Cela s’explique par les investissements initiaux élevés, les longues périodes d’amortissement ainsi que les incertitudes concernant la densité des raccordements et l’évolution de la consommation. Certes, des subventions sont disponibles dans le cadre du programme « Bâtiments » de la Confédération et des cantons, des fonds énergétiques des villes ainsi que du programme de compensation de la Fondation pour la protection du climat et la compensation de CO2 (KliK). Ces instruments de soutien ne sont toutefois pas coordonnés de bout en bout et ne couvrent pas non plus les risques financiers. Dans ce contexte, l’Union des villes salue la couverture des risques liés aux investissement dans les infrastructures publiques et dans les réseaux thermiques proposée dans le cadre de la loi sur la protection du climat respectivement de la loi sur le CO2. Ces nouveaux instruments sont certes des mesures bienvenues, mais ils doivent être développés. Par analogie avec l’aide à la construction de logements, un «fonds de roulement» doit être créé afin de pouvoir mettre à disposition le capital-risque nécessaire. Ce fonds, qui doit être géré par la Confédération, doit permettre d’accorder des prêts à des conditions avantageuses aux villes, aux communes et aux autres acteurs concernés afin qu’ils puissent réaliser les investissements à risque nécessaires. Cela contribuerait à réduire considérablement les risques d’investissement pour la construction ou l’extension de réseaux thermiques.

L’Union des villes suisses continuera à s’engager activement pour que les obstacles à la construction ou à l’extension de réseaux thermiques soient réduits et que des solutions pragmatiques soient trouvées pour leur réalisation.