par Jürg Altwegg, conseiller municipal de Winterthour et président de l’Initiative des villes pour la formation

Un passage de zéro à cent en l’espace de trois jours

Le vendredi 13 mars 2020, les évènements se sont également précipités au sein du Département de l’école et des sports de la ville de Winterthour. Mais revenons d’abord une semaine en arrière. Au cours du week-end des 7 et 8 mars 2020 se sont déroulées des journées de formation réunissant les partisans pédagogiques des TIC des écoles secondaires de la ville de Winterthour. Un membre du corps enseignant a soulevé la question de savoir comment nous procéderions si les écoles devaient fermer prochainement. Un murmure a traversé l’assistance, car personne ne croyait vraiment à ce scénario. Après tout, pour autant que les personnes présentes puissent s’en souvenir, cela ne s’était jamais produit auparavant. Lors dudit tour de table, il a donc été convenu assez rapidement qu’un enseignement à distance obligatoire n’était pas possible en pratique et que seules des offres facultatives pouvaient être proposées par le biais de «Microsoft Teams». Cette affirmation s’est avérée totalement fausse, ainsi que l’ont montré les deux mois qui ont suivi. Mais il est vrai qu’à l’époque, on était encore loin de pouvoir imaginer de nombreuses choses qui font aujourd’hui partie de notre quotidien.

Revenons au vendredi en question: au sein du Département de l’école et du sport de Winterthour (DSS en allemand), la «Sicherheitsteam DSS» («équipe de sécurité du Département de l’école et du sport») est entrée en action. Lorsqu’il est devenu évident, au cours de cet après-midi-là, que les écoles allaient effectivement fermer le lundi suivant, l’une des questions qui se sont posées était de savoir comment joindre les élèves et leur prodiguer un enseignement par le biais de moyens numériques.

D’importants défis attendaient tous les acteurs impliqués

Le service «Schule & Computer» (École et informatique) de la ville de Winterthour avait commencé à construire un site web interne sur le thème de «l’école à domicile» dès le début du mois de mars 2020. Ce site a été étendu le 13 mars 2020 par des tutoriels en ligne sur «Schabi» (Schule am Bildschirm / école à l’écran) et «Microsoft Teams». Ce n’est que grâce à l’environnement Microsoft 365 préexistant avec des comptes pour tous les élèves, et aussi grâce à la licence Schabi, qui couvrait elle aussi l’ensemble des élèves, qu’il a été possible de fournir aux écoles deux environnements d’apprentissage opérationnels à distance à partir du 16 mars 2020.

Encore faut-il, pour accéder à l’un de ces environnements d’apprentissage cités, disposer de l’équipement approprié. Puisqu’en plus des ordinateurs portables et des pools de tablettes des écoles primaires, des ordinateurs de bureau étaient disponibles dans la plupart des écoles secondaires dans la ville de Winterthour, une certaine créativité s’imposait. Dans certaines écoles, les élèves qui ne disposaient pas d’un appareil chez eux se sont donc vu équiper d’ordinateurs de bureau ou d’ordinateurs portables supplémentaires provenant du service central de prêt. Ces deux mesures ont permis à la grande majorité des élèves d’être raisonnablement bien équipés d’un point de vue technique et ainsi de garantir leur joignabilité.

Des expériences positives durant la crise

Dans les semaines et les mois qui ont suivi, nous avons également vu des enseignantes et enseignants de Winterthour élaborer des solutions créatives consistant à modifier leur enseignement et à se risquer à faire des choses qu’ils n’auraient probablement jamais osé faire dans des circonstances normales. C’est ainsi que des idées novatrices, petites et grandes, ont vu le jour dans l’environnement scolaire et ont été lancées en un temps étonnamment court: à titre d’exemple, « Jugendinfo », un département de l’animation socioculturelle jeunesse en milieu ouvert de Winterthour, a créé pour les jeunes un jeu forestier en ligne auxquels ceux-ci pouvaient participer en petits groupes au grand air avec leurs smartphones.

Mais qu’est-ce qu’un bon enseignement à distance?

Comme mentionné précédemment, c’est au niveau institutionnel que les conditions techniques de l’enseignement à distance doivent être créées. Sa mise en œuvre dans les écoles requiert toutefois un grand savoir-faire de la part des enseignantes et enseignants qui doivent prodiguer cet enseignement à distance. Ces compétences ne s’acquièrent pas du jour au lendemain et, même si les écoles ont accumulé une vaste expérience, nous continuons à réfléchir à la question de savoir ce qu’est un bon enseignement à distance. Cette question peut recevoir autant de réponses qu’il existe de manières de concevoir l’enseignement en présentiel. Même dans la perspective actuelle, il n’est pas possible de formuler une définition concluante. Des conversations avec des enseignantes et enseignants ont toutefois révélé que les considérations de base suivantes sont essentielles à l’enseignement à distance:

• l’enseignement à distance qui se contente de transposer à l’identique l’enseignement en présentiel dans le monde numérique fonctionne mal.
• Il y a besoin de tâches ouvertes assorties d’une certaine liberté en matière de temps pour permettre aux élèves de les accomplir.
• Il y a besoin de tâches récurrentes que les élèves peuvent résoudre de manière autonome et sans l’aide de leurs parents ou tuteurs.
• Une structure quotidienne cohérente servant de repère aux élèves apporte un soutien précieux. Cette structure n’a pas pour but de calquer l’emploi du temps de l’enseignement présentiel, mais de définir des repères tenant compte de la liberté accordée en matière de temps sur lesquels les élèves peuvent s’orienter.

L’enseignement enrichi par le numérique n’est pas l’équivalent de l’enseignement à distance

Après le retour à l’enseignement en présentiel, certaines voix se sont élevées pour réclamer une évaluation systématique des expériences tirées de l’enseignement à distance durant le lockdown. Certains l’ont probablement demandé dans l’intention de souligner les limites des moyens numériques tandis que d’autres espéraient mettre en évidence les chances offertes. Ces deux approches sont délicates et aboutiraient à de fausses conclusions au regard des considérations suivantes:

• l’enseignement à distance durant le lockdown a eu lieu dans une situation exceptionnelle et a été également qualifié d’enseignement à distance d’urgence. D’une part, les écoles n’y étaient pas préparées de manière suffisamment complète et minutieuse, et d’autre part, de nombreux enseignantes et enseignants ont dû faire face à des circonstances personnelles aggravantes, par exemple parce que leurs propres enfants devaient également être gardés à la maison ou en raison de la pression supplémentaire qu’ils ont subie en raison du stress et de l’anxiété causés par la menace de la pandémie.
• Durant le lockdown, l’enseignement à distance était souvent assimilé à un enseignement numérique et était parfois associé, au sens plus large, au module «Médias et informatique» du plan d’études 21. Ce faisant, on a fait abstraction du fait que la grande majorité des contenus du domaine «Médias et informatique» ne sont en aucun cas prédestinés à être enseignés à distance. Le module «Médias et informatique» comporte le travail créatif en groupe, la réflexion commune et le travail avec des supports matériels au même titre que toutes les autres matières. La possibilité d’animer une discussion par le biais d’un logiciel de vidéoconférence ou de rendre une feuille de travail par voie électronique représente par exemple des compétences d’application qui ne constituent qu’une fraction du module «Médias et informatique».

En résumé, l’enseignement à distance a souvent été assimilé à l’enseignement enrichi par le numérique. Or cette assimilation n’est pas correcte en termes de contenu. Pour autant, on ne saurait nier que le lockdown a ouvert certaines portes. Certains enseignantes et enseignants ont essayé de nouveaux outils et utilisé des méthodes qu’ils auraient probablement pris plus de temps à mettre en œuvre ou qu’ils n’auraient jamais osé employer dans des circonstances normales. Si cet enrichissement des connaissances peut maintenant être utilisé dans le cadre de l’enseignement présentiel ou en complément de celui-ci, tout le monde profitera de la diversité nouvellement acquise.

«Après le covid: les voix des villes» paraît chaque mercredi. Cette série est l’occasion pour des experts de différents domaines de prendre position sur les thèmes les plus brûlants de l’actualité du point de vue des villes (s'abonnner).

Jürg Altwegg est conseiller municipal de Winterthour et président de l’Initiative des villes pour la formation